On me l'a demandé...mais j'ai pris plaisir à le rédiger
Les recherches sur internet jumelées à quelques bons bouquins sont rarement aussi fructueuses alors profitez-en.
JouirCe mot nous vient du latin populaire
gaudire, lui-même du latin classique
gaudere.
La première acceptation de ce mot en français remonte au XIIème siècle, en 1112 pour être précis. C'est dans le livre des récits des voyages de Saint Brendan qu'on la trouve. Ce Saint, qui n'était alors qu'abbé, avait entrepris de rechercher le Paradis Terrestre en bateau. Il ne l'aura pas trouvé mais se sera fait payer le luxe d'une belle aventure.
Dans "Le voyage de Saint Brendan" écrit en 1112 par un dénommé Beneiz, on trouve ce passage :
- un dénommé Beneiz a écrit:
- De luin en mer bien oïrent
Cum li oiseals les goïrent
De lur canter ne firent fin
Desque arivé sunt li pelerin.
Ce qui signifie à peu près, la versification en moins :
De loin sur la mer ils entendirent comment les oiseaux les accueillaient : ils ne cessèrent de chanter jusqu'à l'arrivée des pèlerins sur terre. D'après mon dictionnaire d'étymologie,
Jouir viendrait de ce "goïr". Le sens de l'époque n'est pas le même comme vous l'aurez remarqué. Ici c'est "
accueillir joyeusement" qu'il faut comprendre.
A la fin du XIIème siècle, un certain Coucy, probablement
Moïse de Coucy, réutilise ce terme, je ne sais malheureusement pas dans quel ouvrage
, peut-être son oeuvre la plus importante, le Sepher Mitsvoth godol (Le grand Livre des Préceptes). Il se peut d'ailleurs qu'il s'agisse d'une personne différente, d'autres individus nommés
"de Coucy" existant à cette époque. Mon dictionnaire n'est pas suffisement précis.
Bref. Le dit
Coucy utilisait l'ancêtre de
jouir dans le sens de
"bénéficier heureusement de".
Ensuite, en suivant l'évolution de ce mot, nous nous retrouvons en 1580, dans
Les Essais de Montaigne, Premier livre, trentième chapitre
Des Cannibales. - Michel de Montaigne a écrit:
- Ils n'ont que faire des biens des vaincus, et s'en retournent à leurs pays, où ils n'ont faute d'aucune chose necessaire ; ny faute encore de cette grande partie, de sçavoir heureusement jouir de leur condition, et s'en contenter
Le sens présent est celui de "
bénéficier (d'un avantage)" et l'avantage semble être
"leur condition".
Ce sens existe encore aujourd'hui, mais malheureusement, l'Homo Modernus, comme dit la RATP, jouit plus facilement en ce sens, de son argent que de sa situation d'Homme. Ce n'est pas moi qui l'affirme, ce sont les exemples trouvés au fil des pages.
On peut aussi jouir d'une bonne santé, jouir de ses biens, jouir de l'embarras d'un adversaire, etc.
Nous apprenons ensuite que
jouir dans son sens "
avoir du plaisir sexuel" est utilisé en français à l'écrit la première fois par Jean de la Fontaine en 1678. Or c'est l'année de la publication de son
second livre de Fable. Si vous voulez vous donner la peine de relire ce livre pour trouver la référence exacte...
Malgré cette définition précoce par La Fontaine, rares sont les dictionnaires qui connaissent ce sens. En 1852,
le dictionnaire classique de la langue française, aux éditions Didier, l'ignore tout bonnement (p.335).
En 1907, le Larousse pour Tous publié sous la direction de
Claude Augé, ne connait toujours pas ce sens.
Dans mes références personnelles, je ne découvre
jouir comme
"goûter le plaisir particulier au coït" qu'en 1931, dans le Larousse du XXe siècle.
Mais le Larousse possède une longue tradition de pudibonderie. Peut-être d'autres dictionnaires connaissaient ce sens dès le XIXe ?
Jouir comme nous l'avons déjà remarqué a connue plusieurs orthographes. En poussant dans ce genre les recherches, j'ai découvert le
Dictionnaire d'Etymologie Française d'après les Résultat de la Science Moderne, numérisé. A la page 191, nous découvrant d'autre forme du mot
jouir :
Joïr et
goïr en ancien français.
Gedere et
Gioire en italien, dérivé du vieil italien
Giojarsi.
Gauzir et
Jauzir en provencal.
Un autre verbe de l'ancien français provenant du latin
godere :
se gaudir.
Pour ce qui est des dérivés du mot jouir :
La
jouissance remplace la
joiance,dérivée du latin gaudentia, en 1466 dans les écrits d'un certain Bartzsch, grand inconnu de cet article.
Dans le
Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, de Frederic Godefroy, qui est en ligne au format DJVu mais que je n'arrive pas à lire (
à l'aide !), dans ce dictionnaire, donc, apparait le mot
jouisseur, peu usité, au sens large de "
Celui qui jouit de".
J'apprend également, sans autre information, que jouissif date du XXème siècle. A creuser.
Références :
Wikipedia avec entre autres l'article de
littérature française au passage, je voudrais faire remarquer qu'il y a d'avantage de chose sur la littérature française sur le wikipédia allemand que sur l'hexagonal. www.intermonde.net www.bribes.org pour l'extrait des
Essais de Montaigne.
www.google.fr/books un outil que j'appréhende à peine mais qui est d'une richesse incroyable.
www.linternaute.com définitions et étymologies.
Dictionnaire d'étymologie, édition Larousse 2001, J.Dubois, H.Mitterand, A.Dauzat.
Dictionnaire étymologique du Français, édition Les Usuels du Robert 1992, J.Picoche.
Le Larousse pour Tous, édition 1907 - 1908, C.Aubé, Tome premier.
Le Larousse du XXe siècle, édition 1931, P.Augé, Tome quatre.
Et plein d'autres sources secondaires dont je vous fais grâce...
Si vous désirez lire les Voyages de Brendan en version complète bilingue français moderne - ancien français, contactez-moi, je l'ai trouvé sur internet en pdf.